Élections au Sénégal : « Dakar n’est pas Damas, ni Moscou, ni Abidjan »

Élections du Sénégal : « Dakar n’est pas Damas, ni Moscou, ni Abidjan »

 

Après un premier tour qui a déjoué tous les pronostics au Sénégal, le second tour de l’élection présidentielle du 25 mars s’annonce passionnant.  La violence dans les urnes, la victoire de Wade dès le premier tour et un pays qui bascule dans la guerre civile. Après mon séjour à Dakar, voici pourquoi je pense que le pays de la Téranga n’est ni la Syrie, ni la  Russie , ni la Côte d’Ivoire. 

 

« Dakar n’est pas Damas »

 

De la violence, il y en a eu au Sénégal, tout au long de cette campagne électorale. Une dizaine de morts. De trop, certes. Une élection présidentielle sous tension, une première pour le pays de la Téranga. Néanmoins,  le Sénégal n’est pas la Syrie, Abdoulaye Wade n’est pas Bachar Al Assad. Il ne pilonne pas les villes entières avec ses chars dans l’indifférence générale. A Dakar, les manifestants manifestent, un pléonasme impossible en Syrie. Car là-bas, manifester est un risque mortel qui ne souffre pas d’exceptions. Bachar ne cherche pas à obstruer momentanément la respiration de ses citoyens mais définitivement. L’arme absolue de wade c’est répandre du gaz lacrymogène sur les manifestants et le cas échéant sortir son arme absolue, un dragon cracheur d’eau bouillante sur une foule. La plus grande crainte de ce gouvernement fébrile, ce sont les inscriptions sur les T-Shirts des manifestants « Non à un troisième mandat » arborés par une centaine de femmes en blanc et rouge réunis sur la place de l’obélisque devenu leur place Tahrir. Mais la tendance légendaire à exagérer des sénégalais, alliée à la force de frappe d’une certaine presse acquise à l’opposition a fait craindre le pire. Si bien que les journalistes étrangers du monde entier venus sans visa pour la plupart dans le pays contrairement à la Syrie, sont arrivés masqués, casqués et en gilets pare-balles. A croire qu’ils s’étaient trompés de destination. Et ils ne sont pas les seuls, les produits anti-lacrymogènes et des masques à l’utilité relative que l’on nous a fait acheter sont restés dans les valises.

 

« Dakar n’est pas Moscou »

 

Un score de 63% dès le premier tour. Abdoulaye Wade en a rêvé, Vladimir Poutine l’a fait. Certains de ses porte-voix comme l’ineffable Serigne Mbacké a même annoncé une victoire dès le premier tour, le soir du vote. Mais le Sénégal n’est pas la Russie, on ne peut plus prévoir un tel score et cela grâce aux quelques milliers de journalistes sénégalais postés dans presque tous les 13 000 bureaux de vote  qui donnent en direct les résultats. C’est d’ailleurs la méthode qui a permis à Wade candidat en 2000 de devenir président après quarante longues années de combat politique au sein de l’opposition. Des représentants de tous les partis sont dans chaque bureau de vote et une première pour cette élection, ils ont eu droit à un exemplaire de chaque procès verbal après le dépouillement. Certes, il n’y pas de cameras devant chaque urne, cela dit, voyant les résultats en Russie, la technologie n’est pas forcement gage de démocratie. Autre différence, la presse sénégalaise est libre et l’opinion quelle qu’elle soit, s’exprime librement. Il suffit pour s’en convaincre de lire les journaux locaux qui ne s’embarrassent même plus pour certains de la véracité des faits. Ce contexte particulier a permis au vote du peuple sénégalais de ne pas être confisqué en obligeant le président sortant Abdoulaye Wade à un second tour inattendu face à son ancien premier ministre Macky Sall.

 

« Dakar n’est pas Abidjan »

 

Un processus électoral qui tourne mal. Une population qui s’entre-tue. Un président non élu qui s’accroche, voilà le scénario tristement dénommé à l’ivoirienne. Mais le Sénégal n’est pas la côte d’ivoire. Aucun politique inconscient n’a eu à manipuler la question ethnique comme au pays des éléphants. Les armes ne sont pas en circulation dans tout le pays. Le Sénégal est une démocratie, le peuple sénégalais a fait preuve de maturité électorale, oubliez le temps des achats de conscience où avec un sac de riz on achetait une voix. Mais ce n’est pas faute d’essayer, les gesticulations intempestives du président Wade envers les guides religieux, à la recherche du Ndiguel, la fameuse consigne de vote religieuse envers son armée de fidèles. Mais depuis l’élection présidentielle de 2000, le sénégalais a compris que son vote était utile. Voter librement, sereinement, calmement dans la paix. Une gageure tant la presse avait relayé des menaces sur les bureaux de vote. Wade n’est pas encore Gbagbo. Attendons le second tour et le résultat pour voir s'il perd (car rien n'est encore joué) quel perdant va-t-il être : Abdou Diouf félicitant bon gré mal gré le vainqueur ou alors Laurent Gbagbo s’agrippant à un destin qui lui échappe. Voudra t-il couler des jours heureux dans une quelconque cour internationale pourvue qu’elle ne soit pas à La Haye ? Et ainsi par la même occasion effacer la lourde ardoise d’une troisième candidature fortement contestée. Sindièly* (sa fille) aurait dit-on, une influence positive, à moins que la pression d’un gouvernement à l’agonie soit plus forte. Le sénégalais n’est pas plus pacifique que l’ivoirien mais seulement le pays n’a pas encore fait l’expérience du sang versé. Car on le sait, on ne ramasse jamais le sang qui s’écoule.

 

Fatimata Wane-Sagna

 

Notes : Abdou Diouf : ancien président du Sénégal de 1980 à 2000
Sindièly : la fille d’Abdoulaye Wade qui était très présente lors du premier mandat de son père mais qui peu à peu s’est effacée au profit de son frère Karim devenu omniprésent.

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3 Comments
Very Right Fan! Mais on doit rester prudent jusqu'au soir du 25 Mars.
un excellent sujet!!!
La différence de fond entre les situations en Cote d'ivoire ou en Syrie, c'est qu'il n'y a pas de clivages ethniques ou religieux au Sénégal qui permettrait de s'appuyer de manière indéfectible sur une partie de la population pour se maintenir au pouvoir. Gbagbo avec les sudistes bétés et chrétiens contre les musulmans baoulés du Nord et Bachar avec les alouites et une partie des chrétiens contre le reste de la population, ont une assise. Dans ces situations, seule la force maintient au pouvoir. Le Sénégal a la chance d'avoir une armée qui n'est pas ethnique. Aucun char n'ouvrira le feu sur des sénégalais pour un sénégalais. Au Sénégal, il y a un peuple plus ou moins homogène. Le seul clivage possible serait les confréries religieuses. C'est d'ailleurs une carte que le président sortant tente de jouer quitte à déstabiliser durablement le pays.

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